lundi 21 avril 2008

Obsèques nationales d’Aimé Césaire

Obsèques nationales d’Aimé Césaire, une ‘opération récupération’

Ils sont venus, ils sont tous là !
C'est par ces mots que débute l'excellent article de Pakool sur son blog Pasidupes .

Je ne répéterai donc pas ce que Pakool à si bien écrit, dans l'ensemble de son article, et il ne sera ici question que d'enfoncer le clou dans les papiers de la presse inculte.

Cette presse qui vient de découvrir le concept de la négritude en l'attribuant à Aimé Cesaire, rejoint donc la fière brochette politique qui se pressait à ses obsèques, dans un bel élan de repentance coloniale.

Dans cet élan, l'utilisation première du terme négritude est attribuée à Aimé Cesaire, par cette presse qui doit prendre ses sources chez Wikipédia, mais en ne faisant qu'une lecture en diagonale, puisque dans cet article est évoqué un nom oublié de tous, René Maran, et que Léopold-Sédar Senghor (a qui on attribue le concept ) en a lui-même fait le « précurseur de la négritude ».

René Maran né en 1887, la même année que Saint John Perse, est le premier Goncourt "noir", grâce à son roman Batouala, véritable roman nègre en 1921.

Presse inculte, aujourd'hui, alors qu'en 1960, année de la mort de René Maran, nombreux sont les journaux à parler de lui ou à lui rendre hommage :
France Soir, Le Figaro, Le Monde, l’Aurore, le Sud-Ouest Régional, les Nouvelles littéraires, La Vie de Bordeaux, le Soir de Bruxelles, Paris-Dakar etc...

Pourquoi cet oubli aujourd'hui ?

Parce que parler de René Maran aurait risqué de ringardiser l'opération de récupération repentante ?

Certainement! Parce qu'à lire la préface de Batouala tout était déjà dit en 1921 :

"Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leur charnier d’innocents (...) Tu bâtis ton orgueil sur des cadavres (...) Tu es la force qui prime le droit (...) Mon livre n’est pas de polémique. Il vient, par hasard, à son heure. La question "nègre" est actuelle. Mais qui a voulu qu’il en fût ainsi ? Mais les Américains. Mais les campagnes des journaux d’outre-Rhin (...) Mes frères en esprit, écrivains de France (...) Que votre voix s’élève ! Il faut que vous aidiez ceux qui disent les choses telles qu’elles sont, non pas telles qu’on voudrait qu’elles fussent. Et plus tard, lorsqu’on aura nettoyé les suburres coloniales, je vous peindrai quelques-uns de ces types que j’ai déjà croqués, mais que je conserve, un temps encore, en mes cahiers. Je vous dirai qu’en certaines régions, de malheureux nègres ont été obligés de vendre leurs femmes à un prix variant de vingt-cinq à soixante-quinze francs pièce pour payer leur impôt de capitation. Je vous dirai...Mais, alors, je parlerai en mon nom et non pas au nom d’un autre ; ce seront mes idées que j’exposerai et non pas celles d’un autre.
Et, d’avance, des Européens que je viserai, je les sais si lâches que je suis sûr que pas un n’osera me donner le plus léger démenti. Car, la large vie coloniale, si l’on pouvait savoir de quelle quotidienne bassesse elle est faite, on en parlerait moins, on n’en parlerait plus. Elle avilit peu à peu. Rares sont, même parmi les fonctionnaires, les coloniaux qui cultivent leur esprit. Ils n’ont pas la force de résister à l’ambiance. On s’habitue à l’alcool. Avant la guerre, nombreux étaient les Européens capables d’assécher à eux seuls plus de quinze litres de pernod, en l’espace de trente jours. Depuis, hélas ! j’en ai connu un qui a battu tous les records. Quatre-vingts bouteilles de whisky de traite, voilà ce qu’il a pu boire en un mois.

Ces excès et d’autres, ignobles, conduisent ceux qui y excellent à la veulerie la plus abjecte. Cette abjection ne peut qu’inquiéter de la part de ceux qui ont charge de représenter la France. Ce sont eux qui assument la responsabilité des maux dont souffrent, à l’heure actuelle, certaines parties du pays des noirs. C’est que, pour avancer en grade, il fallait qu’ils n’eussent "pas d’histoires". Hantés de cette idée, ils ont abdiqué toute fierté, ils ont hésité, temporisé, menti et délayé leurs mensonges. Ils n’ont pas voulu voir. Ils n’ont rien voulu entendre. Ils n’ont pas eu le courage de parler. Et à leur anémie intellectuelle l’asthénie morale s’ajoutant, sans un remords, ils ont trompé leur pays.


C’est à redresser tout ce que l’administration désigne sous l’euphémisme d’"errements" que je vous convie. La lutte sera serrée. Vous allez affronter des négriers."

Certainement aussi, parce que René Maran était un homme, un homme comme tous les autres, qui n'était pas "tout blanc", ni "tout noir" et que la presse aujourd'hui refuse d'expliquer cette complexité de l'être.

René Maran est un homme que l'on ne peut ranger dans une seule case, voici ce qu'il disait de lui même :

"Je suis un écrivain qui a réussi, chose rare, à demeurer, toute sa vie, et en toute occasion, un homme. Et il se fait que, par-dessus le marché, cet homme est de couleur, et qu’il a servi, sa vie durant, et de son mieux, par ses écrits, malgré certaines apparences, la belle cause de la fraternisation raciale et celle des rapprochements sociaux."

Cette belle cause n'est pas inscrite à la page "actualité" de notre presse, pas plus qu'à celle de la belle brochette politique présente aux obsèques d'Aimé Cesaire, Ils sont venus, ils étaient tous là pour une opération de récupération de popularité, mais pour la brochette, on peut encore imaginer que cela fait partie de leur métier.




2 commentaires:

Prudence Amédée Pétards a dit…

tu étais à l'enterrement ?
je ne t'y vois pas !!! :D

Anonyme a dit…

Que voila un joli coup de pied dans le derrière de certains.Un drop magnifique...
Big-Ben doit être bien contente que les pendules soient remise à l'heure...
Et si évidement il ne faut point enlever de la valeur à Aimé Césaire pour ses actions et ses convictions,
il est normal de rendre à Jules ce qui est à César...
(Koukoucémoa)